1.9.08

L'Abkhazie de l'oncle Tom

Depuis la chute de l’URSS, l’Ossétie du Sud, rattachée à la Géorgie, souhaite rejoindre la Fédération de Russie aux côtés des Ossètes du Nord. Le 7 août dernier, la Géorgie lance ses troupes à l’assaut de ce territoire sécessionniste soutenu par la Russie, déclenchant une guerre foudroyante dans la région.

Lorsque le jeune Président pro-occidental Sakaachvili arrive au pouvoir en 2003, il affiche rapidement ses objectifs : intégrer l’OTAN et ramener les régions sécessionnistes (Ossétie du Sud et Abkhazie) dans le giron géorgien. Pour y parvenir, il compte fortement sur le soutien de ses « amis » occidentaux. C’est dans ce contexte qu’il lance son offensive le 7 août dernier. Mais la réaction russe est immédiate et le soutien américain très limité, pour ne pas trop froisser le partenaire russe…

La stratégie de Saakachvili est tombée dans le piège des doubles jeux diplomatiques, dont le Caucase est un terrain d’expérimentation privilégié. Des doubles jeux qui ont des relents de guerre froide. La Russie distribue des passeports aux séparatistes de Géorgie, pendant que les Américains et leurs alliés européens construisent des oléoducs et des gazoducs pour acheminer les ressources énergétiques de la Caspienne sans passer par la Russie… histoire d’organiser l’affaiblissement de cet encombrant et puissant partenaire. Le Caucase est également un territoire d’implantation stratégique pour les Etats-Unis dans le cadre d’un éventuel conflit avec l’Iran voisin. Pour la Russie, ce conflit était l’opportunité de « punir » la Géorgie de son rapprochement avec les Occidentaux, de rappeler sa puissance dans la région, et de se faire, en passant, l’avocat des petits peuples du Caucase… pour tenter de faire oublier le massacre récent de 15% de la population tchétchène.

Et les Ossètes dans tout ça ? Doit-on reconnaître leur sécession ? Car la vraie question de ce conflit est celle, récurrente, de la conciliation de deux principes clefs du droit international : celui du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » et celui du « droit des Etats à leur intégrité territoriale ». La réponse aux questions séparatistes est éminemment complexe : voyant le Kosovo accéder à l’indépendance, les Ossètes revendiquent naturellement le même droit. De mêmes que des centaine de régions du monde… La réponse peut donc difficilement être universelle. Elle dépend de l’histoire de la province séparatiste, de l’oppression subie par la minorité en question, de l’existence d’un conflit ethnique, etc. Malheureusement, cette réflexion est polluée par les multiples intérêts économiques et stratégiques des grandes puissances. Comme le remarquait Vladimir Poutine dans un discours à Munich en 2007 (au sujet des Etats-Unis) : les grandes puissances agissent en dehors « de leurs frontières nationales dans tous les domaines et cela est très dangereux; personne ne se sent plus en sécurité parce que personne ne peut plus trouver refuge derrière le droit international ».

Le Piaf n°27 - septembre 2008

12.5.08

Pour un Tibet libre… de toute ingérence

Comment ne pas s’indigner devant la politique de répression et de négation de la culture tibétaine menée par le gouvernement chinois dans cette province ? Il est bien entendu de la responsabilité de tous les défenseurs des droits de l’homme de les dénoncer avec force, et en utilisant le haut-parleur le plus puissant qui soit : les médias occidentaux.

Mais la prise de position pro tibétaine de certaines ONG et de certains médias prend des proportions quelque peu dérangeantes. Car dénoncer la répression est une chose, se prononcer pour l’autonomie ou l’indépendance d’un peuple en est une autre. Dans le premier cas, on défend l’application des droits humains les plus basiques sur l’ensemble de la planète. Dans l’autre cas, on s’ingère dans l’histoire d’un pays, d’une nation, d’un peuple. Mais avec quelle légitimité ?

Certains invoquent, pour défendre ce droit d’ingérence, le fameux « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » promu par la Charte des Nations-Unies. Mais il y a là une contradiction évidente : le droit à l’autodétermination sous-entend, par définition, que les peuples puissent choisir librement leur destin, sans pression ni intervention extérieure. On peut défendre le principe : mais on ne peut pas, si l’on souhaite rester cohérent, tenter d’influer sur le résultat de son application. Car le problème est bien là : combien de séparatismes ont été manipulés par des nations extérieures qui avaient un intérêt politique ou économique à défendre dans une région donnée ? Combien de guérillas la CIA a-t-elle subventionnée pour déstabiliser tel ou tel régime, ou installer un homme particulier au pouvoir ? Les exemples sont trop nombreux et trop graves pour qu’on laisse se perpétuer ces odieuses manipulations.

Si les pouvoirs occidentaux ne cherchaient, à travers les unes des journaux, qu’à promouvoir les Droits de l’Homme et les principes de l’ONU, on le saurait depuis longtemps. Le traitement médiatique serait alors le même pour toutes les causes indépendantistes. On aurait peut-être vu les médias appeler au boycott du gaz russe pour soutenir la cause tchétchène. Et s’intéresser aux velléités séparatistes qui ravagent l’Est du Congo. Mais tout le monde n’est pas logé à la même enseigne : un peuple dont la culture et la religion attirent la sympathie des Occidentaux, dont le chef spirituel est une star médiatique, et qui lutte contre un Etat de plus en plus puissant sur la scène internationale, a plus de chances d’être entendu. Les Tibétains auraient tort de ne pas en profiter. A nous ensuite d’éviter la surenchère émotionnelle, de dénoncer les analyses simplistes de la situation, et s’atteler aux questions de fond… A commencer par celle du néo-impérialisme qui se cache parfois sous les termes hypocrites du « droit d’ingérence ».

Le Piaf n°24 - mai 2OO8

1.5.08

Les Ouighours, les oubliés des médias

Alors que les Tibétains sont devenus les symboles médiatiques de la répression chinoise, les Ouïghours, peuple musulman de la province du Xinjiang, captent beaucoup moins l’attention.

Issus d’un peuple nomade centre-asiatique, de langue turcophone, sédentarisés dans l’ouest de la Chine actuelle, puis convertis à l’islam au Xème siècle, les Ouïghours n’ont pas grand chose en commun avec les Han, ethnie majoritaire chinoise. La région devient une province chinoise en 1884, mais jouit d’une quasi-autonomie jusqu’en 1949 et l’arrivée au pouvoir des communistes qui entament un processus de « sinisation » de cette province : arrivée massive de Han (dont la part dans la population de la province est passée de 6 à 37% entre 1949 et 1990), remplacement de l’alphabet arabe par l’alphabet latin pour limiter les échanges, jugés subversifs, avec les Républiques musulmanes d’ex-URSS, mise à l’écart de certains dirigeants, destruction de mosquées, etc. Face à cette négation de leur culture et aux discriminations dont ils sont victimes, le désir d’indépendance des Ouïghours s’est accentué. Il s’est en outre renforcé avec l’effondrement de l’Union soviétique et l’accession à l’indépendance des Républiques turcophones d’Asie Centrale (Kirghizstan, Kazakhstan, Ouzbékistan et Turkménistan). Mais la répression elle aussi s’est durcie, de la part d’un gouvernement paranoïaque et tyrannique qui, depuis les attentats du 11 septembre 2001, multiplie les emprisonnements, tortures et condamnations à mort au nom d’une prétendue « lutte contre le terrorisme ».

Le Piaf n°24 – Mai 2008