Le 21 décembre 2006, au réveil, les médias nous glissent une nouvelle : le Président du Turkménistan, Saparmourat Niazov, est décédé d’une crise cardiaque. Le Turkménistan… un de ses nombreux pays en « stan » qu’on ne situe pas très bien, et dont on sait encore moins ce qu’il s’y passe. Et pourtant…
Le Turkménistan était gouverné, depuis 1985, par l’un des plus grands mégalomanes de l’histoire. Niazov, qui s’était auto-proclamé « Turkmenbachi » (« père de tous les Turkmènes »), avait instauré une dictature proche de la science-fiction, fondée sur la répression et le culte de sa personne. Il n’était pas seulement Président à vie, premier ministre, chef des armées et du seul parti autorisé, mais aussi poète et leader spirituel de son peuple. Son œuvre, le Ruhnama, qui revisite l’histoire du pays et sacralise Niazov et sa famille, est devenu le seul ouvrage étudié en classe et disponible dans les librairies. Un exemplaire a même été placé sur orbite et tourne actuellement autour de la Terre… La photo du Président est quant à elle placardée dans tout le pays. Sa statue, en or, tourne avec le soleil au centre de la capitale, Ashgabat.
Niazov a redéfini ce qui était bon pour le peuple turkmène : le théatre, le ballet et l’opéra ont été interdits, les bibliothèques supprimées. Le système éducatif est devenu une usine d’endoctrinement. Le système de santé est réduit à néant : par soucis d’économies, tous les hôpitaux de campagne ont été fermés. Les habitants sont priés de se rendre dans la capitale pour se voir énoncer un diagnostic bidon : le Turkmène version Niazov doit être en pleine santé. Le choléra réapparaît ? Il suffit de fermer les yeux.
Parallèlement à ces économies budgétaires, le dictateur, assis sur une importante rente gazière et pétrolière dont les deux tiers atterrissaient sur ses comptes personnels, a réalisé des projets aussi pharaoniques qu’inutiles : des palais présidentiels gigantesques, ou encore la plus grande mosquée d’Asie Centrale, dans son village natal, qui attend toujours ses premiers fidèles. Au total, une trentaine de contrats passés avec le constructeur préféré du dictateur : Bouygues. Le montant total est estimé à 1.5 milliard de dollars. Niazov était devenu un ami personnel de Martin Bouygues, dont l’entreprise s’est pleinement épanoui dans cette région pendant que les Turkmènes se serraient la ceinture pour aller se faire soigner en Ouzbekistan, et que des rares opposants mouraient dans des prisons qu’aucune ONG n’a jamais pu pénétrer… Mais que le peuple se rassure, il n’a pas été complètement oublié des fantasmes présidentiels : des projets de zoo en plein désert (avec des pingouins s’il vous plaît) ou de pistes de ski traînent encore dans les cartons.
Les élections pour sa succession sont prévues le 11 février prochain. Les survivants de l’opposition, en exil, envisagent de rentrer au pays. Ils n’y sont pas encore parvenus, et l’opération semble toujours très difficile. Mais dans tous les cas, la mort de Niazov représente un risque financier important pour Bouygues. Nous ne pouvons donc qu’adresser à son PDG, nos sincères condoléances.
Le Piaf n°11 - janvier / février 2007
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