26.7.05

Ankara-Konya (Turquie), le 26 juillet 2005

Je me lève, le maître d’hôtel m’offre le petit dej dans le salon. Peu à peu, des gens s’approchent de moi et je me retrouve au centre d’une mystérieuse conversation en turc. Tous les regards sont braqués sur moi. Je sens bien que je dois m’exprimer. J’ai l’impression d’être un ministre qui sort sur le perron de l’Elysée après une réunion de la plus haute importance : la foule de micros attend une déclaration, n’importe laquelle. « Istanbul, j’adore, mais Ankara, c’est pas terrible ». Je ne pouvais pas trouver mieux pour déclencher un vaste débat sur une question sensible et insoluble : quelle est la vraie capitale de la Turquie ? J’attends que les esprits se calment en avalant une généreuse part de brioche locale et en sirotant mon thé, puis je m’éclipse.

Arrivée à Konya, je rencontre Ali, un instituteur qui parle très bien français. Je passe un après-midi passionnant en sa compagnie, puisqu’il me guide dans toute la ville, m’entraine dans le musée archéologique de la ville, m’éclaire sur toutes les périodes de l’histoire turque. Nous voyageons dans l’empire romain, dans l’empire seldjoukide dont Konya était la capitale, dans l’empire ottoman… pour finir par disserter autour d’un thé sur la religion, l’amour, l’évolution des mœurs, etc. Ali est un musulman qui ne trouve pas particulièrement choquant que l’homme soit autorisé à avoir 4 femmes. Mais Ali est aussi un turc qui est contre le voile, pour la libération de la femme, ou plus exactement : pour que l’homme puisse se rincer l’œil.

25.7.05

Ankara (Turquie), le 25 juillet 2005

Très fatiguée après une nuit dans un bus, sans fermer l’œil. Trop faible pour prendre les transports en commun. Evidemment, le chauffeur de taxi me fait croire que son compteur ne marche pas, évidemment il me fait payer le double, évidemment il me dépose devant l’hôtel Firat, et non l’hôtel Ferah. Trop crevée pour rectifier le tir, je me retrouve dans une chambre pleine de cafards, mes grands amis.

J’arpente ensuite Ankara pendant 6 heures pour trouver l’ambassade d’Iran, dans le but de récupérer mon visa. Ankara est une ville insupportable, bruyante, étouffante, stressante. Ou est-ce moi, qui m’insupporte, qui entend des bruits, qui étouffe et qui stresse ? L’ambassade n’a pas mon visa puisqu’elle n’a pas reçu de demande. Je passe quelques coups de fil en France, je rentre à l’hôtel, épuisée.

23.7.05

Pergame (Turquie), le 23 juillet 2005

Certaines journées ne sont qu’un ruissellement d’imperfections et d’incompréhensions qui attaquent doucement les nerfs. Je me lève, ma logeuse mal réveillée se montre des plus désagréables. Mon petit dej est une lutte de tous les instants contre des guêpes mal intentionnées et des mouches collantes. Après une longue attente, je me retrouve dans un bus direction Pergame. Je discute laborieusement en allemand avec ma voisine. Après 3 heures et demi de conversation, je ne sais toujours pas d’où elle vient ni où elle va. Je sais juste que sa famille est en Allemagne, que son mari est malade, qu’elle partage son temps entre la Russie et l’Allemagne et qu’elle voyage depuis de nombreuses heures déjà. Lors de la pause déjeuner, nous nous attablons ensemble comme deux vieilles copines inséparables. Elle me donne le numéro de son fils qui travaille dans le tourisme à « Alagna » : je ne sais absolument pas où ça se trouve, ni même dans quel pays, mais bon il paraît que c’est très beau alors il faut que j’y aille et que j’embrasse son fils pour elle. Mon guide m’informe que cette « Alagna » pourrait fort bien être « Alanya », sur la côte turquede la Méditerranée.

Le bus me jette ensuite au beau milieu d’un carrefour, parce qu’en fait, Pergame, ce n’était pas vraiment sur sa route. A peine ai-je empoigné mon sac et amorcé un début de réflexion sur la direction à prendre pour rejoindre la ville qu’un taxi est déjà arrêté devant moi. Evidemment, il veut m’emmener à la pension de son ami, mais non, je veux aller à l’Acroteria Pension. Dialogue de sourds. Il finit par céder, mais se venge ensuite sur le prix. Premier conflit avec un taxi…

Je cherche un site, je ne le trouve pas, je cherche un café Internet, je n’en trouve pas. Je souhaite prendre un billet de train pour Ankara demain soir, il n’y a plus de place. Dans ces cas-là, on rentre sagement à son hôtel et on médite profondément sur des proverbes égéens : « l’herbe pousse sur sa racine »…

A 19h15, je croise la route de Clément, un lillois perdu dans les rues de Pergame.

22.7.05

Assos (Turquie), 22 juillet 2005

Contemplation. Un paysage idyllique, d’une sérénité à toute épreuve. La mer ressemble à l’un de ces gros matelas moelleux dans lesquels on a une irrésistible envie de se jeter. La côte est une main tendue vers moi. Je suis au sommet de la colline d’Assos, au cœur des ruines du temple d’Athéna. Il y a comme une atmosphère d’inébranlable, qui défie le temps.

Assos est un village très paisible. Les touristes, turcs pour la plupart, déambulent devant des petites vieilles et des petits vieux assis devant leur stand de souvenirs mais qui ne vendent presque rien. Les quelques restaurants sont vides, ce qui ne met pas forcément très à l’aise. Le serveur n’a rien d’autre à faire que de te regarder manger et toi tu n’as rien d’autre à faire que de regarder ton assiette… ou le serveur, mais c’est plus risqué.

21.7.05

Assos (Turquie), 21 juillet 2005

Assos, un petit village de pierres dominant la mer Egée du haut de son imposante falaise. Arborant fièrement un drapeau turc en son point culminant, il semble faire un pied-de-nez à l’île grecque d’en face (Lesbos) et à l’histoire.

L’endroit idéal pour commencer le récit d’un voyage sans fin. Un voyage pour quoi, me direz-vous ? Un voyage pour toucher des frontières. Celles des nations, celles des religions, celles de l’homme, celles du Moi, les miennes… Une exploration, certainement plus intérieure que touristique. Un voyage pour oublier, pour m’oublier. Un départ pour revenir, un détachement extrême pour mieux m’attacher, un voyage de nomade pour une vie de sédentaire. Glisser sur la terre, sans jamais m’agripper aux branches. Etre touchée, émue, séduite par des endroits, des rencontres. Puis les quitter, poussée par le seul désir de la découverte et n’obéissant qu’à ma propre liberté.

J’ai quitté la douce folie d’Istanbul. Istanbul… qui dégage une atmosphère à la fois paisible et envoûtante, malgré les 15 millions d’habitants qui conduisent comme s’ils faisaient une partie géante d’auto-tamponneuses. Des minarets pointés vers le ciel, des mosquées rougissantes au coucher du soleil, une dense déambulation de visages contemplatifs, eux-mêmes contemplés par des visages assis qui boivent du thé sur des petits tabourets soigneusement alignés dans la rue à cet effet.

Me voici seule, désormais, seule devant un espace infini, une temporalité nouvelle, une route inconnue. Me voici au moment exact où le voyage se distingue des vacances.