12.5.08

Pour un Tibet libre… de toute ingérence

Comment ne pas s’indigner devant la politique de répression et de négation de la culture tibétaine menée par le gouvernement chinois dans cette province ? Il est bien entendu de la responsabilité de tous les défenseurs des droits de l’homme de les dénoncer avec force, et en utilisant le haut-parleur le plus puissant qui soit : les médias occidentaux.

Mais la prise de position pro tibétaine de certaines ONG et de certains médias prend des proportions quelque peu dérangeantes. Car dénoncer la répression est une chose, se prononcer pour l’autonomie ou l’indépendance d’un peuple en est une autre. Dans le premier cas, on défend l’application des droits humains les plus basiques sur l’ensemble de la planète. Dans l’autre cas, on s’ingère dans l’histoire d’un pays, d’une nation, d’un peuple. Mais avec quelle légitimité ?

Certains invoquent, pour défendre ce droit d’ingérence, le fameux « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » promu par la Charte des Nations-Unies. Mais il y a là une contradiction évidente : le droit à l’autodétermination sous-entend, par définition, que les peuples puissent choisir librement leur destin, sans pression ni intervention extérieure. On peut défendre le principe : mais on ne peut pas, si l’on souhaite rester cohérent, tenter d’influer sur le résultat de son application. Car le problème est bien là : combien de séparatismes ont été manipulés par des nations extérieures qui avaient un intérêt politique ou économique à défendre dans une région donnée ? Combien de guérillas la CIA a-t-elle subventionnée pour déstabiliser tel ou tel régime, ou installer un homme particulier au pouvoir ? Les exemples sont trop nombreux et trop graves pour qu’on laisse se perpétuer ces odieuses manipulations.

Si les pouvoirs occidentaux ne cherchaient, à travers les unes des journaux, qu’à promouvoir les Droits de l’Homme et les principes de l’ONU, on le saurait depuis longtemps. Le traitement médiatique serait alors le même pour toutes les causes indépendantistes. On aurait peut-être vu les médias appeler au boycott du gaz russe pour soutenir la cause tchétchène. Et s’intéresser aux velléités séparatistes qui ravagent l’Est du Congo. Mais tout le monde n’est pas logé à la même enseigne : un peuple dont la culture et la religion attirent la sympathie des Occidentaux, dont le chef spirituel est une star médiatique, et qui lutte contre un Etat de plus en plus puissant sur la scène internationale, a plus de chances d’être entendu. Les Tibétains auraient tort de ne pas en profiter. A nous ensuite d’éviter la surenchère émotionnelle, de dénoncer les analyses simplistes de la situation, et s’atteler aux questions de fond… A commencer par celle du néo-impérialisme qui se cache parfois sous les termes hypocrites du « droit d’ingérence ».

Le Piaf n°24 - mai 2OO8

1.5.08

Les Ouighours, les oubliés des médias

Alors que les Tibétains sont devenus les symboles médiatiques de la répression chinoise, les Ouïghours, peuple musulman de la province du Xinjiang, captent beaucoup moins l’attention.

Issus d’un peuple nomade centre-asiatique, de langue turcophone, sédentarisés dans l’ouest de la Chine actuelle, puis convertis à l’islam au Xème siècle, les Ouïghours n’ont pas grand chose en commun avec les Han, ethnie majoritaire chinoise. La région devient une province chinoise en 1884, mais jouit d’une quasi-autonomie jusqu’en 1949 et l’arrivée au pouvoir des communistes qui entament un processus de « sinisation » de cette province : arrivée massive de Han (dont la part dans la population de la province est passée de 6 à 37% entre 1949 et 1990), remplacement de l’alphabet arabe par l’alphabet latin pour limiter les échanges, jugés subversifs, avec les Républiques musulmanes d’ex-URSS, mise à l’écart de certains dirigeants, destruction de mosquées, etc. Face à cette négation de leur culture et aux discriminations dont ils sont victimes, le désir d’indépendance des Ouïghours s’est accentué. Il s’est en outre renforcé avec l’effondrement de l’Union soviétique et l’accession à l’indépendance des Républiques turcophones d’Asie Centrale (Kirghizstan, Kazakhstan, Ouzbékistan et Turkménistan). Mais la répression elle aussi s’est durcie, de la part d’un gouvernement paranoïaque et tyrannique qui, depuis les attentats du 11 septembre 2001, multiplie les emprisonnements, tortures et condamnations à mort au nom d’une prétendue « lutte contre le terrorisme ».

Le Piaf n°24 – Mai 2008